Le nouvel âge sombre de l'Europe
Leonid Savin est un éminent représentant de la nouvelle école russe de géopolitique, un membre du mouvement néo-eurasiste et un proche associé d’Alexandre Dugin. Il est aussi le rédacteur-en-chef du centre analytique Geopolitica.ru et du Journal of Eurasian Affairs, ainsi que le directeur de l’administration du Mouvement Eurasien International. Il est l’auteur d’une série de livres sur la géopolitique et sur des sujets divers : To Geopolitic, Netwar and Net-centric warfare, Ethnopsychology, From Sherif to Terrorist, New Methods of Warfare... D’après Leonid Savin, nous vivons une époque de soudains changements de paradigmes géopolitiques et de changements radicaux dans les relations de pouvoir. La puissance américaine s’est affaiblie dans les dernières années, de nouveaux troubles et de nouvelles divisions sont apparus dans l’Occident lui-même. En plus de la Russie et de la Chine, émergent de nouvelles puissances, des empires potentiels, causant une série de nouveaux conflits et rallumant d’anciens conflits, du Moyen-Orient aux Balkans. La crise de l’Union Européenne, aggravée par la crise migratoire et le terrorisme, marque la fin du mythe bourgeois de la prospérité. Tout cela crée une situation complètement unique dans un monde complètement globalisé, où il n’y a plus de règles claires.
Avec la chute du Mur de Berlin et la disparition de l’ordre bipolaire, apparut le « moment unipolaire ». Les Etats-Unis sont devenus l’hegemon global incontesté. Ce quart de siècle marqué par de constantes interventions et agressions militaires, retraçages de frontières, renversement de « mauvais régimes », est une tentative de l’Amérique pour établir un « nouvel ordre mondial ». Il semble que cette tentative est un échec et que Washington n’a plus aucune idée, aucun concept ou programme – à part créer un « chaos contrôlé » sur tout le globe, un chaos que l’Occident a de plus en plus de mal à contrôler.
Exactement, les USA n’ont plus les idées et les moyens pour continuer leur propre programme pour le monde. D’abord, l’empire américain est beaucoup trop étendu. Ensuite, il y a de nouvelles puissances montantes comme la Chine ou la Russie restaurée. Des Etats émergeants suivent. Les frictions politiques croissantes entre les satellites américains font qu’il n’y a plus de règles claires. Les fuites d’informations sont aussi de bonnes raisons pour le révisionnisme politique. Mais cette situation est unique, parce que pour la première fois dans un monde totalement globalisé nous voyons un changement de l’équilibre des puissances d’une manière nouvelle. Il existe différents points de vue sur ce processus, mais à mon avis cela concerne les armements nucléaires. Souvenons-nous de ce que Kenneth Waltz a dit concernant la multipolarité nucléaire, il y a plusieurs décennies. Ce genre de dissuasion mutuelle était une sorte de seuil qui ne fut jamais franchi. Les USA intervinrent seulement dans des pays non-nucléaires, mais des pays comme la Russie furent la cible d’actions non-militaires – au moyen de la diplomatie, de l’économie, etc. Enfin, dans le domaine idéologique, les USA ont échoué. Washington utilise encore le « libéralisme » comme instrument d’influence, mais après la crise financière mondiale ce mantra n’est plus aussi efficace qu’auparavant.
Chaque empire dans le passé avait sa propre idée de sa mission universelle. En Amérique, cette idée prend une forme maligne. C’est le concept puritain du « peuple élu », comme l’ancien Israël. Thomas Jefferson parlait de l’Amérique comme d’un « empire de liberté » et de l’Américain « requis pour améliorer le monde ». Ces idées ont une continuité profonde. Le président Bush Jr. a promu l’idée de la « révolution démocratique mondiale ». Vous avez parlé de la « culture de la violence », qui est fermement enracinée dans la mentalité américaine, même dans les personnages du folklore. Et aussi de la « machinerie de guerre » qui combine le complexe militaro-industriel, les forces armées, les élites politiques, financières et intellectuelles de ce pays.
Je ne suis pas d’accord concernant la mission universelle des empires. Les empires des temps anciens et ceux de l’époque moderne étaient basés sur l’idée d’une origine divine, pas d’une mission universelle. L’empire chinois ne s’est jamais préoccupé de domination mondiale. Il y avait une différence très claire entre les barbares de l’extérieur et le peuple de l’empire à l’intérieur. Ou souvenons-nous des guerres gréco-perses. Deux empires se reconnaissaient comme étant des empires, tentaient de vaincre, mais tous les autres étaient des barbares. En Mésoamérique aussi les empires étaient autocentrés mais sans penser à partager leur vision avec les voisins dont ils tiraient des ressources. A l’époque moderne la situation était un peu différente, du fait de la religion chrétienne, mais finalement cela conduisit au système westphalien de l’ordre international. Si nous revenons aux USA, il y eut un mélange d’idées franc-maçonnes (la guerre d’indépendance commença avec la « partie de thé de Boston », organisée par la loge maçonnique du Massachussetts), d’éthique protestante et d’expérience britannique de domination. Bien sûr l’idée de « liberté » était au cœur de la démocratie américaine, mais elle fut adoptée d’une manière très spécifique. Cela conduisit à l’exceptionnalisme américain, où Washington seulement peut imposer ce qui est juste et ce qui est mauvais. Toutes les autres sortes de « libertés » furent rejetées. Quand un coup d’Etat se produisit dans l’empire russe et que les bolcheviks proclamèrent une sorte différente de libertés, cela ne fut pas apprécié aux USA. Pas à cause du style spécifique de gouvernance bolchevique, mais parce qu’un nouveau pôle politique prétendait ainsi apporter des libertés. Après la Seconde Guerre mondiale l’élite américaine réorganisa son propre appareil étatique qui devint connu sous les noms de complexe militaro-industriel et d’Etat profond.
Durant la Guerre Froide, l’Occident, conduit par les Etats-Unis, s’est comporté d’une manière monolithique, spécialement vis-à-vis de son principal rival – le bloc de l’Est, communiste. Nous assistons maintenant à un approfondissement des divisions en Occident, principalement entre les USA et l’Allemagne. S’agit-il seulement de désaccords transitoires entre Angela Merkel et Donald Trump, ou les intérêts des deux pays sont-ils maintenant fortement opposés ?
La question concerne les intérêts des élites politiques, pas les pays eux-mêmes. Angela Merkel affiche une idéologie libérale globale, mais Trump conserve une approche à deux faces – les intérêts américains comme il l’a promis durant la campagne électorale, et des coupes dans les aides à quelques vieux partenaires. L’Allemagne (les élites libérales) est encore intéressée à être un client des USA, mais Trump ne veut pas fournir plus d’assistance, de fonds et d’aide aux alliés européens. Pour les USA et les Européens libéraux, un autre problème est la montée du populisme ici [en Europe]. En France et ailleurs beaucoup de gens sont mécontents, mais nous devons attendre de voir les résultats des élections législatives de septembre en Allemagne. En tous cas nous assistons à la mort de la démocratie dans l’Union Européenne, parce que les Etats-membres sont dirigés par des bureaucrates de la Commission européenne, pas par des gens élus. Donc cette question va plus loin qu’un conflit d’intérêts entre les USA et l’Allemagne.
Dans son essai Le retour des Empires, Dmitry Minin dit que nous vivons une époque de renouveau des anciens projets impériaux. L’Amérique a peut-être abandonné l’idée d’hégémonie mondiale, mais elle reste certainement une forte puissance impériale.
Le principe de l’empire n’est pas la force politique ou militaire, il est celui du système de gouvernance. L’Empire a besoin de donner quelque chose, pas seulement de prendre. La Russie a manifesté son essence après que la Crimée ait été reconnue comme faisant partie du territoire russe et placée sous souveraineté russe. Moscou a payé le prix fort pour cela – sanctions, décroissance de l’économie, etc. Mais avant cela nous avons soutenu la Syrie et envoyé nos troupes là-bas. C’est aussi une sorte de comportement impérial. Mais le terme d’empire peut être discuté sous des angles analytiques différents et des écoles scientifiques différentes, donc cela dépend de l’approche choisie.
En prenant en compte le secteur réel, la Chine est déjà devenue la première économie dans le monde. Depuis 2013, elle a réalisé son projet de « Nouvelle Route de la Soie », en coopération avec la Russie et l’Union Eurasienne. Comment voyez-vous le phénomène de la montée de la Chine et comment la Chine se positionne-t-elle vis-à-vis de la Russie et des USA ?
La Chine a besoin d’investir dans les pays voisins aussi bien qu’outre-mer, pour soutenir sa croissance économique. La main d’œuvre à bon marché et les grands fonds financiers poussent la Chine à faire quelque chose. En Chine, la plupart des grands projets sont terminés. Donc ils doivent aller à l’étranger et l’OBOR [= « One Belt One Road » = « Nouvelle Route de la Soie »] est une bonne opportunité pour cette stratégie. Les USA ont peur de la Chine et le Pentagone a peu de stratégies de dissuasion, comme le concept d’affrontement Air-Mer ou des cyber-attaques subversives contre l’Etat chinois ou le soutien à Taïwan. Pour les USA, la Russie est plus faible et présente quelques vulnérabilités qui sont exploitées par Washington. Mais maintenant la Maison Blanche commence à comprendre que la stratégie antirusse ne marche pas. [S’ils veulent persister dans cette voie] Ils devraient passer à des actions plus dures et plus graves, ce qui mènerait à la guerre. La Russie prévoit cela à l’avance et organise des mesures de sécurité en retour.
Mais Washington comprend qu’il n’est pas possible d’agir contre la Russie et la Chine si ces deux puissances sont alliées, et qu’aucune sorte de guerre ne marchera. Donc les USA tentent de les séparer, sans succès jusqu’ici. La Russie et la Chine se renforcent militairement et accroissent leur influence par la plate-forme de la SCO [Shanghai Cooperation Organisation]. L’Inde et le Pakistan ont rejoint cette organisation, ce qui veut dire moins d’opportunités pour les USA en Eurasie.
La Russie sous Poutine et la Russie de Eltsine sont deux pays différents. Le président Poutine a réussi à faire renaître la Russie. La Russie est-elle en train de devenir une vraie puissance impériale, pas un empire du XIXe siècle mais un empire du XXIe siècle ?
Beaucoup de choses restent encore à faire. Les libéraux de l’intérieur sont encore au pouvoir et nos « amis » occidentaux sont encore actifs. La nature du problème est très dynamique et complexe. Il est très important maintenant de terminer l’institutionnalisation du modèle de pouvoir en Russie. Nous devons penser aux années après 2025 et être prêts à agir dans un environnement difficile. Je sais que beaucoup de gens à l’étranger regardent la Russie comme le berceau et la dernière forteresse des valeurs traditionnelles – cela aussi doit être pris en compte quand nous développons nos propres stratégies et que nous cherchons des réponses à des questions globales. Comme beaucoup d’écrivains russes classiques l’ont remarqué, nous (en tant que pays) avons notre propre destin et nous devons comprendre notre rôle. Alexandre Douguine a adopté la philosophie de Martin Heidegger sur cette question – le Dasein du peuple russe doit être découvert par la nécessité, pas sur ordre.
Vous êtes né en Ukraine, à Sumy. Comment jugez-vous la situation en Ukraine aujourd’hui et les moyens possibles de mettre fin à la guerre dans ce pays ?
La situation en Ukraine est très mauvaise. Inflation, chômage, l’Etat ukrainien ne fournit pas d’aides sociales aux gens. Mais d’autres gens profitent de la croissance des prix et de la crise actuelle. Des acteurs extérieurs sont encore très actifs – l’Ukraine est un grand marché et en ce moment on peut trouver beaucoup de choses pour un prix très faible. Enfin la stratégie d’aliénation de l’Ukraine vis-à-vis de la Russie se poursuit – développée par l’Occident et menée par des groupes locaux néonazis et libéraux.
La désintégration de l’Union Européenne a en fait commencé avec le Brexit. Une autre solution possible est une redéfinition fondamentale du concept d’« unification européenne », mais les élites européennes n’ont apparemment aucun pouvoir pour une chose comme cela. Dans ces conditions, l’enthousiasme pro-européen semble perdre son sens.
Théoriquement ils peuvent essayer, mais en pratique il y a tellement de chaînes imposées aux organisations européennes… Il y a quelques aspects négatifs – les institutions politiques européennes n’ont pas de vision commune et voient l’expansionnisme comme une hypothèse de travail. Les Balkans seront acceptés dans l’UE en accord avec cette vision. Nous entendons aussi parler d’un « plan Marshall pour l’Afrique » proposé par l’Allemagne – une autre sorte de vieille ambition.
La crise des migrants et le terrorisme sont manifestement étroitement liés. La crise des migrants n’est pas terminée, mais les médias occidentaux ne parlent pas trop de cela. Les dirigeants européens disent que les citoyens des pays européens doivent s’habituer à vivre avec le terrorisme. Le terrorisme est en effet devenu partie intégrante de la vie quotidienne européenne. Quel est le sens de ces messages ?
Nous pouvons décrire cela comme des signes d’un nouvel âge sombre de l’Europe. Les Européens doivent réveiller leur propre volonté politique ou bien ils mourront, au sens de l’histoire et des traditions européennes. Dans les années 70 il y avait aussi beaucoup d’attaques terroristes dans les pays européens. Les radicaux politiques de gauche et de droite utilisaient la terreur dans les rues. Historiquement, nous pouvons trouver une référence avec la révolution française où la terreur fut institutionnalisée. Il n’y a rien de nouveau. L’important est que le mythe bourgeois de la prospérité s’est dissipé. Paradoxalement, l’hymne de l’UE est l’« Ode à la joie » de Beethoven, mais je ne suis pas sûr que la plupart des citoyens de l’UE soient joyeux.
Le processus de remodelage du monde et de création d’une nouvelle réalité géopolitique commença il y a plus de vingt-cinq ans dans les Balkans, quand les pays occidentaux firent tout pour briser la Yougoslavie et encourager la sanglante guerre civile. En Occident, il y a maintenant des propositions pour une nouvelle modification des frontières dans les Balkans. Les Balkans vont-ils à nouveau devenir un champ de bataille, alors que les relations de pouvoir dans le monde changent rapidement, comme cela arriva au début des années 90 ? Et à votre avis, que doit faire la Serbie ?
Comme je l’ai dit plus haut, l’UE tentera d’absorber les Etats balkaniques. Ils n’aiment pas avoir des voisins souverains, donc de nouveaux vecteurs de la diplomatie de Bruxelles (l’OTAN et l’UE) seront dirigés vers les Balkans. La Serbie est la noix la plus solide ici, mais après l’entrée du Monténégro dans l’OTAN la Serbie semble être la prochaine cible. La Macédoine est déjà sous contrôle avec Zaiev au gouvernement. Voyons ce qui se passe en Serbie. Durant les dernières années presque toutes les directives de l’UE ont été appliquées. Après les dernières élections législatives, les ministres pro-européens sont plus nombreux dans le gouvernement (avec même une activiste LGBT !). La migration des Serbes hors du pays continue.
La feuille de route est très prévisible. Un véritable contrepoids serait une alliance avec la Russie et la SCO, mais Moscou n’a reçu aucun signal de la part de Belgrade.
La Russie doit-elle intervenir ? Puisque l’approche russe des relations internationales est basée sur la non-intervention, la réponse sera « non ». C’est la réalité. Et personne ne sait ce qui se passera ensuite. On peut prévoir plusieurs scénarios, mais si les autorités serbes sont d’accord [avec ce qui se passe], pourquoi les autres pays s’inquiéteraient-ils ?
Entretemps, ces activistes gays dans le gouvernement serbe ont été nommés par le premier ministre. L’acte lui-même est manifestement une sorte de message politique.
Je suis sûr que cette élection a été faite en coordination avec l’Occident – c’est une sorte de test pour voir la réaction de la société serbe. Comme une action avec Bernard Henri-Levy – le message a été envoyé aux élites globales par le peuple serbe, et pas seulement par des groupes non-marxistes, et c’est pourquoi Levy a déclaré que la Serbie est une société nationaliste qui n’est pas encore prête pour l’intégration globaliste. Maintenant nous allons voir la réponse du peuple serbe à la nomination d’un nouveau Premier ministre.
L’Occident a encouragé les Albanais à créer leur « Grande Albanie » – cela confirme les événements en Macédoine.
L’UE tentera d’imposer une politique de pacification dans les Balkans, mais ISIS et les militants albanais continueront à progresser de toute manière. Les Albanais au Kosovo veulent « nettoyer » tout le territoire et le prendre sous leur contrôle, ce qui signifie conflit. Si les voies politiques ne suffisent pas pour les Albanais en Macédoine, ils recommenceront à attaquer comme en 2015. N’oubliez pas les flux de migration à travers la Turquie et la Grèce – le trafic vers l’UE traversant principalement les Balkans, et quelques éléments resteront ici. Et il n’y a même pas d’unité stratégique entre les Etats-membres de l’UE, concernant les migrants. Donc vous devez être prêts pour un conflit. Il vaut mieux être armé (dans tous les sens du terme) et en sécurité plutôt que d’être attaqué sans être prêt.
Depuis des années (et des décennies), le monde islamique est dans une profonde confusion. La première ligne de division est entre les sunnites et les chiites. L’Arabie Saoudite, conduite par le wahhabisme, reste fidèle à son allié américain, et reste un sponsor majeur du terrorisme. Il semble que la Turquie, qui il y a encore peu de temps était un membre important de l’OTAN et de la coalition occidentale, a décidé de suivre sa propre voie. Il y a aussi l’Iran, qui coopère étroitement avec la Russie. Comment prévoyez-vous le développement des événements dans le monde islamique ?
Depuis l’époque de la doctrine Carter, une partie du monde islamique est sous contrôle direct des USA (et de son allié régional, Israël). Pour l’instant les USA tentent de bâtir de nouveaux partenariats avec des Etats arabes pour dissuader l’Iran, mais il y a des surprises, par exemple la crise entre l’Arabie Saoudite et le Qatar. Ce jeu semble très intéressant à cause de ses effets sur Washington. Le pouvoir réel et les ambitions des acteurs régionaux seront efficaces si une politique de puissance intelligente est utilisée. Mais le monde islamique ne se limite pas au Proche-Orient – l’Afrique du Nord, l’Asie du Sud et le Pacifique font aussi partie du monde islamique et cette interdépendance rend la région plus sensible et ouverte à des influences différentes. La Russie est maintenant plus active au Moyen-Orient, et nous avons partagé une compréhension avec les dirigeants de certains pays islamiques concernant l’avenir de cette région.
Le Moyen-Orient est une zone de conflits et d’instabilité constants. Du moins depuis les deux dernières décennies. Comment évaluez-vous l’actuel équilibre des puissances dans cette région ? La fin de la guerre est-elle en vue en Syrie et de nouveaux foyers de guerre sont-ils en préparation ? Que signifie « projet de remodelage du Grand Moyen-Orient » ?
La violence religieuse, la promotion des droits de l’homme et de la démocratie par l’Occident, les dysfonctionnements économiques, la sécularisation, les réseaux d’organisations terroristes, les réserves de pétrole et de gaz – tout cela est suffisant pour générer de nouveaux-anciens conflits dans cette région. Pour l’instant, les guerres en Syrie, en Irak et au Yémen sont cruciales. Mais Bahreïn, le Liban et la Turquie sont de prochains candidats pour des guerres et des troubles. Nous avons besoin d’un nouveau paradigme pour le Moyen-Orient et le monde en général. Comme vient de le dire le président Poutine, « une nouvelle philosophie est nécessaire ». Il s’agit bien sûr de la multipolarité, sur la base des cultures spécifiques, des traditions et des responsabilités partagées. Mais nous devons d’abord expulser l’influence américaine, parce que Washington ne comprend pas comment trouver de bonnes solutions. Du fait de leur manque d’idées, les USA reviennent simplement au projet du Grand Moyen-Orient avec quelques modifications. A coté de sa politique de puissance « hard », la Maison Blanche tentera d’engager des organisations intergouvernementales et internationales, des agences de l’ONU, la Banque Mondiale et ainsi de suite pour investir dans la sécurité ici, mais cette stratégie échouera aussi. Nous devons revenir aux racines des peuples de la région, supprimer les influences postmodernistes d’une manière très minutieuse, ensuite nous verrons que des organisations comme les Frères Musulmans étaient initialement enracinées dans l’islam soufi. La structure wahhabite apportera plus de problèmes du fait de sa nature agressive, mais à long terme ce problème aussi pourrait être réglé. Nous devons comprendre les intérêts et les valeurs des peuples de la région. Washington ne le fera jamais.
Dans l’arrière-plan de la guerre en Syrie et de la dégradation des relations entre les monarchies du Golfe (Arabie Saoudite et Qatar), il y a la guerre « oubliée » au Yémen. Les médias occidentaux sont silencieux sur les crimes de guerre saoudites et la destruction du Yémen.
La guerre au Yémen est connue aussi, mais le problème est le silence de la « communauté mondiale ». On ne voit pas d’images de cette guerre sur les chaînes TV américaines, mais les lanceurs d’alerte font leur travail autour du globe. L’ONU fait des rapports réguliers sur la crise épidémique et humanitaire, mais semble impuissante dans cette situation. A propos, la situation à Bahreïn n’est pas non plus surveillée par l’Occident. Ce n’est pas seulement du double discours, mais une sorte de racisme, parce que l’Occident ne reconnaît pas les victimes dans ces deux pays comme des humains avec les mêmes droits qu’en Europe ou en Amérique.
Vous avez publié en 2013 en Serbie un essai de géopolitique intitulé « Du shérif au terroriste ». Le livre a connu un grand succès. Préparez-vous de nouveaux livres pour les lecteurs serbes ?
J’ai déjà transmis le texte d’un autre de mes livres à l’éditeur serbe. Il est en cours de traduction. Il traite aussi des différents types de conflits, de la mondialisation et des nombreux instruments de la politique de Washington. Cette année en Russie deux de mes nouveaux livres (sur la multipolarité et la cyber-géopolitique) vont être publiés et j’espère qu’un jour ils seront traduits et publiés en Serbie aussi.
[Article publié dans l’hebdomadaire serbe Печат, Belgrade, 7 juillet 2017.]